Témoignage Aude Hoizey vice-présidente de Sems International

Faire le témoignage de mon implication dans Sems international, c’est comme dérouler une pelote de laine pour me rendre compte que ce n’est pas anodin si, aujourd’hui, je fais partie de cette merveilleuse aventure. Aussi, je vous propose de remonter quelques années en arrière.

J’ai rencontré Denis, actuel Président de Sems international et surtout initiateur de ce beau projet, en 2004, au début de ma formation d’éducatrice spécialisée. À l’époque déjà, nous avions l’habitude de réaliser des projets en commun. La fin de formation se faisant ressentir, tous les étudiants se sont centrés sur leur projet post-formation. Le mien était de partir en volontariat à l’international. Cela faisait un bout de temps que j’en avais envie. C’était à la fois un défi personnel et un besoin.
Un défi personnel car j’avais tendance à avoir très peu confiance en moi. J’avais envie de tester mes limites, de voir de quoi j’étais capable…
Le besoin ? Il était professionnel… En tant qu’éducatrice spécialisée, je savais que j’allais, lors de ma carrière, être amenée à soutenir ou accompagner des personnes migrantes ou issues de l’immigration. Quoi de mieux que de vivre soi-même la migration pour comprendre les difficultés ou les souffrances qui peuvent en être liées ? Bien sûr, beaucoup de migrants en France subissent le choix de quitter leur pays, ce qui n’était pas mon cas… mais j’ai pu me confronter à la différence culturelle, aux difficultés pour comprendre sans mauvaises interprétations ce qui m’entourait ou tout « simplement » à la frustration de ne pouvoir s’exprimer du fait de la barrière de la langue…

Il m’en a fallu du courage pour décider de partir. Mais je l’ai fait ! Je suis donc partie avec la DCC (Délégation catholique de la coopération) pour un contrat de volontariat solidarité international d’une durée d’un an renouvelable à Raqqa, en Syrie.
A Raqqa, j’intervenais dans un centre pour enfants infirmes moteurs cérébraux. J’avais pour mission de former le personnel à la prise en charge d’enfants handicapés, de mettre en place un accompagnement individuel pour l’enfant et de soutenir les parents. Cette expérience a été à la fois riche, merveilleuse, lourde et difficile…
Aujourd’hui, personne n’ignore où se trouve Raqqa. À l’époque, je n’en n’avais aucune idée ! La destination ne vendait pas du rêve, en tout cas pour la ville de Raqqa, mais la fiche de poste était très intéressante. J’ai décidé d’accepter en disant : « in challah », cette fameuse phrase que j’allais entendre quotidiennement pendant toutes mes années de volontariat !

Sur le plan personnel, l’intégration dans cette ville qui était réputée pour être conservatrice (ce qui s’est trop largement confirmé par la suite), n’a pas été simple. Les regards (plus curieux que malveillants mais toutefois insistants) étaient sans cesse tournés vers moi, je ne pouvais pas répondre aux invitations qui m’étaient faites sans en parler à la Sœur responsable du centre et responsable de ma venue. J’ai dû me battre pour prendre des cours d’arabe avec le professeur qui m’avait été conseillé par ma voisine sans chaperon… Difficile de décrire un vécu en quelques mots…
Et puis, il y a eu les très beaux moments et les rencontres fortes. C’est ces moments dont je veux me souvenir, même si les difficultés ont aussi été très formatrices.

Sur le plan professionnel, c’était là encore à la fois dur et merveilleux : c’était ma première expérience professionnelle en tant qu’éducatrice. Si j’étais restée en France, je sais que je me serai mise dans une position de « jeune débutante » qui rentre dans le bain avec lenteur et prudence. Là-bas, je n’avais pas le choix ; lancée dans le grand bain sans bouées ni planche. Pire ! On m’attendait comme LA professionnelle ! Là-bas les parents m’appelaient « Docteur » tant ils mettaient d’espoir en moi. J’avais beau leur dire que je n’étais pas médecin, le simple fait que je sois française devait me donner tout le crédit du monde. Et puis comment expliquer ce qu’est un éducateur spécialisé dans ce pays ou le travail social n’existe pas ?
Tout cela faisait que je me sentais parfois très isolée professionnellement…

Après un an et demi à Raqqa, j’ai voulu poursuivre mon volontariat dans un pays ou les choses seraient plus « légères ». J’ai eu l’opportunité d’être embauchée au Liban chez Caritas migrant dans un centre d’hébergement pour femmes victimes d’esclavage moderne. Vu d’Europe, nous n’aurions pas idée de parler du Liban avec la notion de légèreté. Et pourtant… cela a été pour moi une vraie libération de quitter Raqqa pour Beyrouth.

Du côté personnel, je pouvais savourer les plaisirs de circuler sans être suivie par les services secrets, je pouvais m’habiller comme j’en avais envie ou marcher sur les trottoirs sans que les regards ne s’arrêtent sur moi en permanence…

Professionnellement, cela a aussi été une expérience extrêmement riche même si là non plus cela n’était pas facile tous les jours. Je travaillais au quotidien avec des collègues Ethiopiennes et Sri-Lankaises pour prendre en charge des femmes venues des Philippines, du Bangladesh, d’Ethiopie etc. qui ont été victimes de violences dans les familles dans lesquelles elles travaillaient. Je devais proposer des actions collectives de façon quotidienne à un groupe de femmes allant jusqu’à 8 nationalités différentes. Il m’a fallu une sacrée créativité face aux différentes langues ou aux différentes cultures dans le groupe !
Mes collègues Sri Lankaises et Ethiopiennes n’étaient pas formées au travail social mais entièrement dévouées à la cause de ces femmes. J’avais aussi des collègues Libanaises ; elles, diplômées en tant qu’assistantes sociales mais très peu présentes au quotidien sur le centre d’hébergement. Je vivais une fois de plus une expérience professionnelle extrêmement puissante mais aussi complexe. Un groupe d’analyse des pratiques comme nous pouvions en avoir lors de notre formation m’aurait été bien utile !

Après presque quatre années de volontariat, j’ai décidé de rentrer en France.
Mon expérience à l’étranger a été un vrai plus dans ma recherche d’emploi. Frustrée de ne pas avoir été dans l’accompagnement individuel des femmes victimes d’esclavage moderne, je me suis orientée vers des structures spécialisées dans l’accompagnement de femmes victimes de violences conjugales. Cela fait maintenant six ans que je soutiens quotidiennement les femmes qui nous sont orientées.
Mon travail actuel découle de façon évidente de mon expérience de volontariat : tout d’abord de mon expérience de femme mais bien sûr aussi de mon expérience professionnelle.

Lorsque j’ai eu l’occasion de revoir Denis qui, lui, venait de rentrer de son volontariat au Pérou, il m’a très rapidement parlé d’un projet que son expérience de volontariat avait fait germer dans sa tête… À cette époque, je n’aurai jamais pensé que son projet deviendrait réalité et que j’en serais l’un des membres fondateurs !
Denis a réussi ce pari de réunir des personnes concernées par le travail social et/ou le volontariat pour échanger autour de ce qui n’était alors qu’une idée. Nous nous sommes tous pris au jeu. Et rapidement, la troupe s’est étoffée ! Au fur et à mesure de nos avancées, nous avons pu constater que Sems International parlait à beaucoup de personnes. Comme nous le pressentions, cela répondait réellement à un manque dans le travail social et le volontariat…

La pelote est déroulée et les points communs entre mes dernières années et le projet de Sems International sont nombreux : travail social, volontariat, isolement professionnel, différences de pratiques, échanges des pratiques, interculturalité, solidarité… et aventure humaine !
Non… ce n’est décidément pas pour rien que je fais partie de cette belle épopée.
Aude