Témoignage Denis Couillaud président de Sems International

Quels sont les fruits d’une expérience ou d’une rencontre ? Voici une question qui me revient souvent. Qu’est-ce que les expériences m’apprennent, des autres, de moi-même ? Qu’est ce qui fait que ma vie change après une rencontre ? Qu’est-ce que j’en retient ?
Témoigner de Sems International, c’est raconter l’histoire de ces expériences et de ces rencontres. En voici une partie, les miennes.

enfant handicapé pérou sems international volontariatL’une de ces rencontres marquantes se passe pour moi à l’Arche, une communauté où vivent ensemble des personnes handicapées mentales, des volontaires et des professionnels de l’éducation désirant vivre autrement la rencontre et le partage.
J’y découvre en partie la faiblesse, la pauvreté, la fragilité, la dépendance. J’y rencontre des personnes portant un handicap souvent lourd, mental, physique ; un handicap qui met à mal leur propre vie et celles de ceux qui les entoure ; un handicap souvent difficile à supporter et à accompagner.
Mais j’y découvre aussi l’engagement, la force de la confiance, la joie de la rencontre, la notion d’ « être avec » et non de « faire pour ».
Et bien sûr, j’y découvre des hommes et des femmes inspirantes de par la qualité de leur vie et de leur relation, qu’ils soient jeunes ou plus anciens, avec un handicap mental ou non, qu’ils soient français ou tchèques. Et à travers eux, je découvre le plaisir que j’ai à travailler dans ces environnements.
2 années qui m’ont éduqué, en silence ou à grand fracas, professionnellement et humainement, et qui m’ont poussé à choisir l’accompagnement éducatif et social comme métier pour les quelques années à venir.

Ces rencontres m’amènent à Paris, à l’EFPP – École de Formation Psycho-Pédagogique –  pour 3 ans d’étude afin de devenir éducateur spécialisé. C’est le temps de la formation intellectuelle, de l’élargissement de l’expérience. C’est aussi le lieu de la rencontre avec des étudiants qui m’apprendront à m’engager au-delà d’une structure sociale, au-delà d’un métier. Ce sont Aude, Antoine, Salem, Mélanie et bien d’autres, avec qui nous avançons, non pas juste pour avoir un métier, mais pour se former un regard différent sur l’autre. Toujours vouloir faire mieux, apprendre plus, proposer des accompagnements et une qualité de relation toujours plus juste, respectueuse et pertinente. Apprendre sur nous-même pour pouvoir mieux comprendre les autres et les accompagner.
Je n’aurai jamais cru le dire avant, mais une fois le diplôme en poche, j’ai regretté de quitter l’école j’y serai bien rester un peu plus.

3 ans après le diplôme, un ami me propose l’expérience du volontariat international, et après un discernement non sans difficulté, je prends la décision de partir en volontariat 2 ans au Pérou avec cette même envie de rencontrer l’autre, mais plus loin cette fois-ci. Non pas dans la croyance idéologique que c’est de loin que l’on voit mieux, mais avec le souhait d’expérimenter la vie là-bas. Comment vivent-ils ? Comment je peux vivre moi, loin de mes habitudes, de ma culture, de mes sécurités et zones de confort ?

Je me rappelle d’une citation qui dit, avec quelques imperfections de mémoire : « De loin, j’ai cru que c’était un monstre. En me rapprochant, j’ai vu que c’était un homme. Et en me rapprochant encore, j’ai reconnu mon frère. » C’est l’expérience que je voulais vivre.

À l’aéroport d’Orly, au départ de France pour le Pérou, je sens mon ventre serré, mes proches sont là, tristes mais confiants, le sac que j’ai mis 1 semaine à préparer semble dépasser de beaucoup les 20 kg réglementaires. Mon passeport tout neuf en poche, je n’ai encore jamais quitté l’Europe, je n’ai pris l’avion qu’une seule fois et pour le sud de la France. Je suis crispé mais heureux, grisé, impatient.
Accompagné par deux ONG de volontariat international, INIGO et la DCC, j’ai vécu à Tacna, une ville du sud, frontière avec le Chili. J’ai été responsable d’un foyer d’une vingtaine d’enfants dont les parents partent pour la plupart au Chili pour y trouver un travail mieux rémunéré. J’ai été éducateur dans un centre social accueillant entre 150 et 200 enfants par jour. Je suis devenu « el gringo ». J’ai accompagné un groupe de musique andine, appris à cuisiner « el picante de pollo », appris à marcher dans la rues en évitant les meutes de chiens errants, joué au foot sur une plage du pacifique. J’ai découvert le Machu Picchu, le froid glacial de l’Ausangate, les paysages magnifiques du Lac Titi Caca. J’ai ressenti la joie de l’amitié dans le sourire de Roberto, dans les rires de Ricardo. J’ai été émerveillé par l’énergie de l’enfance dans la danse de Milagros et le chant d’Araceli. Et tant d’autres choses.
J’ai également ressenti le poids de la solitude, l’isolement, les préjugés. J’ai rencontré des situations de grandes violences, physiques, morales, psychologique, sociale. J’ai rencontré des femmes battues, des enfants abandonnés, un gouvernement corrompu. J’ai rencontré un mélange de culture entre les Andes et la côte pacifique faisant du commerce un roi, et des ouvriers des esclaves.

J’y ai bien vécu, parfois de manière austère mais avec toujours beaucoup de vie et de joie.

J’ai grandi au Pérou durant ces 2 années, je me suis découvert différent de ce que j’étais en France, plus responsable, plus ouvert, plus disponible. Je me suis également rendu compte que nous étions tous nourris de la même terre, du même désir d’être ensemble, de partager, de communiquer. Je suis parti avec ce désir de rencontrer cette part d’humanité qui nous est commune à tous, malgré ces différences que l’on voudrait bien souvent juger comme source de discorde.

Et j’y ai été heureux, cela m’a été donné, et je l’ai bien cherché. Je suis aujourd’hui un peu plus riche de tout cela.
En rentrant en France, après quelques mois de bonne déprime en me rendant compte que j’étais devenu un peu différent à ma propre culture et qu’il fallait du temps pour rentrer, je me suis lancé dans l’accompagnement des volontaires internationaux chez INIGO. Commencé comme un temps de bénévolat, ce furent 5 années de travail salarié où mon rôle d’éducateur auprès d’un public portant un handicap a laissé la place à celui des jeunes désireux de vivre l’expérience de la solidarité internationale.
Une fois de plus, c’est le fruit de mon expérience précédente.

Enfin, pourquoi Sems ?
Et bien c’est en partie le fruit de toutes ces rencontres :
Grâce à Marie, ma femme, elle aussi ancienne volontaire et rencontrée à mon retour du Pérou, qui, par sa passion de l’engagement, cherche toujours à proposer de nouvelles solutions ;
Grâce aux retrouvailles avec Aude, ancienne collègue de promotion en école d’éducateur, avec qui nous avions mené tant de projets d’école ;
Retrouvailles rendues possibles grâce à Bénédicte travaillant à la DCC, rencontrée dans le cadre de mon volontariat et de mon travail à INIGO, ayant elle-même rencontrée Aude au Liban ;
Grâce à l’amitié d’Antoine, éducateur, toujours plein d’énergie dans la promotion du travail éducatif ;
Et grâce à tant d’autres qui ont rejoint le projet ;

L’association Sems International voit le jour en février 2017. C’est une rencontre de personnes, mais aussi une rencontre d’envies, de projets :

  • L’envie de participer à une aventure collective ;
  • L’envie de proposer notre expérience vécue en volontariat au plus grand nombre ;
  • L’envie de promouvoir notre expérience d’éducateurs ;
  • L’envie d’accompagner ceux qui se mettent au service ;
  • L’envie de participer, à notre niveau, à l’éradication des inégalités ;
  • L’envie de participer à la valorisation des métiers de l’éducation ;
  • L’envie de mettre nos compétences et expériences au service de projets de développement ;
  • L’envie de répondre à l’appel des travailleurs sociaux et des structures socio-éducatives à l’étranger qui souhaitent s’enrichir de l’expérience et des compétences de chacun ;
  • Et bien sûr, l’envie d’aller à la rencontre.

Et comme le dit si bien Pauline, actuelle membre du CA de Sems : « Juntos, somos mejores ! »

Denis